Hello Marseille,

On se tutoie je crois. On m’a demandé de te présenter le travail de Timothée Calame, je me suis dit que c’était l’occasion de te donner quelques nouvelles de Genève. Tu dois surement avoir quelques préjugés sur la ville : des banquiers, des diplomates, un lac paisible, un accent rigolo. Ça parait bien loin de la Méditerranée, de l’OM, du pastis et de ta « jovialité proverbiale » comme on dit à la capitale (les préjugés sont tenaces). Tu sais peut-être moins que Genève a aussi une riche culture alternative, dont l’histoire a culminé dans les années 90 et 2000, âge d’or des squats et des espaces autogérés. Je ne peux pas vraiment m’étendre ici, mais il te suffira de jeter un œil sur internet, c’est une histoire largement commentée.

Si je te raconte ça, c’est parce que depuis quelques années, on a vu arriver une jeune génération d’artistes qui se revendiquaient de cette culture. Fortement politisée, indépendante, communautaire, ambitieuse dans les réseaux qu’elle a pu créer, cette génération nous en a mis plein la gueule – au sens figuré, parfois aussi au sens propre. C’est de là que vient Timothée et il en garde une appétence pour les projets collaboratifs, une forme de radicalité et un sens de la débrouille. Et de fait, son travail ne se caractérise pas tant par des matériaux ou des formes spécifiques mais plutôt, il me semble, par une recherche de la juste distance dans son appréhension du monde, entre modestie et grandiloquence, ironie et franchise. Par exemple : dans sa manière d’endosser les traits d’une espèce de polichinelle pour débiter des considérations métaphysico-urbanistiques dans ses vidéos. Par exemple : dans sa façon d’actualiser le bréviaire foucaldien (ordre public, contrainte des corps, surveiller, punir) à l’heure des maisons de retraite et de la gentrification. Par exemple : dans sa méditation générale sur le sens de la vie pour son exposition au MAMCO – un brin présomptueux à 26 ans. Par exemple : dans son emprunt aux formes et matériaux de l’espace public envisagés moins comme des ruines romantiques que comme des pièces détachées, que l’on peut assembler de différentes manières.

Pour tous ces aspects, on ne peut s’empêcher à Genève de placer son travail dans la continuité de celui de Fabrice Gygi ou de John Armleder dans sa période Écart. Ce n’est peut-être pas complètement faux. Mais Timothée me semble plus proche de quelqu’un comme Manfred Pernice ou, pour te parler de gens que tu connais bien, Anita Molinero ou Richard Baquié.

Je finirais par te dire que c’est tout sauf un hasard qu’il soit venu chez toi. On se connaît mal, mais tu es clairement devenue ces dernières années l’un des endroits les plus stimulants pour qui veut faire de l’art. Ça devrait « matcher », comme on dit sur les sites de rencontre.

Bien à toi,

Paul Bernard, conservateur au MAMCO